jeudi 26 avril 2012

Le baclofène, molécule miracle contre l'alcool ? L'Afssaps prudente

A l'origine, le baclofène est un décontractant musculaire. Mais c'est aussi un médicament aujourd'hui largement utilisé par de nombreux patients gravement dépendants de l'alcool. Sa popularité a explosé en 2008 avec la parution du livre Le dernier verre d'Olivier Ameisen, cardiologue alcoolique, qui y racontait comment ce médicament, pris à fortes doses, avait supprimé son envie de boire. Pourtant, l'agence du médicament refusait jusqu'à présent de reconnaître cette utilisation du baclofène. Mercredi, elle a timidement assoupli sa position en concédant que ce médicament apporte "des bénéfices cliniques" à "certains patients". Et en admettant prudemment son utilisation dans le sevrage alcoolique sur ordonnance. Mais l'Afssaps n'a pas délivré de feu vert généralisé car, insiste-t-elle encore maintenant, "l'efficacité du baclofène dans la prise en charge de l'alcoolo-dépendance n'est pas encore démontrée à ce jour". L'ordonnance doit donc être rédigée, par des médecins "expérimentés", "au cas par cas" et en adaptant la dose utile à chaque patient. Les doses de baclofène nécessaires sont en effet très variables d'un individu à l'autre.

Le seul document scientifique reconnu à faire le point sur les effets du baclofène dans le sevrage alcoolique est une étude préliminaire rétrospective, publiée le mois dernier : elle évoquait un taux de succès de 58% obtenu avec ce produit vieux de près de quarante ans. "Cela marche mieux que ce qu'on a actuellement", avait relevé le Pr Philippe Jaury, auteur principal de ce travail paru dans la revue Alcohol and Alcoholism. Mais ces travaux demandent encore à être confirmés. L'Afssaps souligne avoir autorisé en avril dernier, le lancement d'un essai baptisé Bacloville chez des patients présentant une consommation d'alcool à haut risque qui seront suivis pendant au minimum un an.

Des effets secondaires mal évalués

Cette étude préliminaire a en tout cas sûrement poussé l'agence du médicament à assouplir sa position : en juin 2011, l'Afssaps se bornait à "une mise en garde" à propos de ce vieux médicament, autorisé depuis 1974 pour soulager des contractures musculaires involontaires d'origine neurologique. Une position jugée dissuasive qui avait été vivement critiquée par des patients et le Pr Bernard Granger, chef de service de psychiatrie. "Retarder l'usage d'une molécule indispensable peut être aussi grave que de laisser commercialiser une molécule dangereuse. En nombre de morts, l'affaire baclofène risque d'être bien pire que le scandale du Mediator", s'insurgeait le Pr Granger dans une lettre diffusée par l'association Baclofène.

Mais ces traitements non reconnus officiellement posent des problèmes, notamment pour l'évaluation des possibles effets secondaires. Alors que des milliers de personnes prennent déjà du baclofène en France, pour des problèmes d'alcool, le taux de notification des effets indésirables est "très faible" (moins de 0,5% des cas sont déclarés) et en tout cas très inférieur aux chiffres communément admis, "si on considère qu'il y a entre 20.000 à 50.000 patients traités", note le centre régional de pharmacovigilance de Grenoble dans son rapport national de suivi du baclofène dans le traitement des addictions pour l'année 2011. Le baclofène reste donc encore à explorer sous bien des coutures et ses effets secondaires (somnolence, convulsions, syndrome des jambes sans repos...) doivent être mieux recensés. Leur "sous-notification est probablement le fait d'une culpabilisation" des médecins amenés à prescrire ce médicament dans des cas non prévus par le cadre actuel de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), constate le rapport de Grenoble.

Le débat se poursuit avec le forum patients/médecins de l'association Audes (www.baclofene.fr) et l'association Baclofène.org, pour qui "la guerre pour l'AMM est engagée !". Pour sa part, le psychiatre et addictologue Philippe Patel met en garde ceux qui croient à la molécule miracle: "l'extinction complète de l'envie de boire, je n'y crois pas", lance-t-il dans Libération. "Ce que je vois sur mes patients c'est à peu près 25% qui réussissent : ils boivent moins ou pas du tout".

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