A l'origine, le baclofène est un décontractant
musculaire. Mais c'est aussi un médicament aujourd'hui largement utilisé par de
nombreux patients gravement dépendants de l'alcool. Sa popularité a
explosé en 2008 avec la parution du livre Le dernier verre d'Olivier
Ameisen, cardiologue alcoolique, qui y racontait comment ce médicament, pris à
fortes doses, avait supprimé son envie de boire. Pourtant, l'agence du
médicament refusait jusqu'à présent de reconnaître cette utilisation du
baclofène. Mercredi, elle a timidement assoupli sa position en concédant que ce
médicament apporte "des bénéfices cliniques" à "certains
patients". Et en admettant prudemment son utilisation dans le sevrage
alcoolique sur ordonnance. Mais l'Afssaps n'a pas délivré de feu vert généralisé
car, insiste-t-elle encore maintenant, "l'efficacité du baclofène dans la
prise en charge de l'alcoolo-dépendance n'est pas encore démontrée à ce
jour". L'ordonnance doit donc être rédigée, par des médecins
"expérimentés", "au cas par cas" et en adaptant la dose utile
à chaque patient. Les doses de baclofène nécessaires sont en effet très
variables d'un individu à l'autre.
Le seul document scientifique reconnu à faire le point sur les
effets du baclofène dans le sevrage alcoolique est une étude préliminaire
rétrospective, publiée le mois dernier : elle évoquait un taux de succès de 58%
obtenu avec ce produit vieux de près de quarante ans. "Cela marche mieux que
ce qu'on a actuellement", avait relevé le Pr Philippe Jaury, auteur
principal de ce travail paru dans la revue Alcohol and Alcoholism. Mais
ces travaux demandent encore à être confirmés. L'Afssaps souligne avoir autorisé
en avril dernier, le lancement d'un essai baptisé Bacloville chez des
patients présentant une consommation d'alcool à haut
risque qui seront suivis pendant au minimum un an.
Des effets secondaires mal évalués
Cette étude préliminaire a en tout cas sûrement poussé l'agence
du médicament à assouplir sa position : en juin 2011, l'Afssaps se bornait à
"une mise en garde" à propos de ce vieux médicament, autorisé depuis
1974 pour soulager des contractures musculaires involontaires d'origine
neurologique. Une position jugée dissuasive qui avait été vivement critiquée par
des patients et le Pr Bernard Granger, chef de service de psychiatrie.
"Retarder l'usage d'une molécule indispensable peut être aussi grave que de
laisser commercialiser une molécule dangereuse. En nombre de morts, l'affaire
baclofène risque d'être bien pire que le scandale du Mediator",
s'insurgeait le Pr Granger dans une lettre diffusée par l'association Baclofène.
Mais ces traitements non reconnus officiellement posent des
problèmes, notamment pour l'évaluation des possibles effets secondaires. Alors
que des milliers de personnes prennent déjà du baclofène en France, pour des
problèmes d'alcool, le taux de notification des
effets indésirables est "très faible" (moins de 0,5% des cas sont
déclarés) et en tout cas très inférieur aux chiffres communément admis, "si
on considère qu'il y a entre 20.000 à 50.000 patients traités", note le
centre régional de pharmacovigilance de Grenoble dans son rapport national de
suivi du baclofène dans le traitement des addictions pour l'année 2011. Le
baclofène reste donc encore à explorer sous bien des coutures et ses effets
secondaires (somnolence, convulsions, syndrome des jambes sans repos...) doivent
être mieux recensés. Leur "sous-notification est probablement le fait d'une
culpabilisation" des médecins amenés à prescrire ce médicament dans des cas
non prévus par le cadre actuel de l'autorisation de mise sur le marché (AMM),
constate le rapport de Grenoble.
Le débat se poursuit avec le forum patients/médecins de
l'association Audes (www.baclofene.fr) et l'association Baclofène.org, pour qui
"la guerre pour l'AMM est engagée !". Pour sa part, le psychiatre et
addictologue Philippe Patel met en garde ceux qui croient à la molécule miracle:
"l'extinction complète de l'envie de boire, je n'y crois pas",
lance-t-il dans Libération. "Ce que je vois sur mes patients c'est
à peu près 25% qui réussissent : ils boivent moins ou pas du tout".
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire