Un être discret sur
sa vie privée, malgré sa surexposition médiatique; d'autant plus pudique auprès
de sa famille, qu'il était extraverti sur scène : tel est le portrait de Thierry Le
Luron que trace sa soeur Martine, à l'occasion de la sortie d'une
biographie, "La vie est si courte, après tout" (éditions J.-C. Lattès). Et pour
la première fois depuis la disparition de l'humoriste, elle ose mettre des mots
sur le mal qui l'a emporté, le 13 novembre 1986, à seulement 34 ans.
A l'époque, les
proches Thierry Le Luron comme son médecin, le professeur Léon Schwartzenberg,
expliquaient qu'il avait été emporté par un cancer des cordes vocales. Mais la
rumeur devait bientôt naître et se propager, insistante : l'humoriste aurait
succombé au virus du sida. Une rumeur qui trouvait, en 1988, un nouvel aliment
avec la mort du compagnon de Thierry Le Luron, Daniel Varsano. Mais que la
famille de l'humoriste se refusait toujours à confirmer. Aujourd'hui, dans un
entretien que publie Paris-Match, Martine Simon-Le Luron, de six ans
son aînée, évoque dans ces termes la mort de son frère : "Son médecin nous a
avertis du cancer de Thierry qui s'est généralisé. Je pense aujourd'hui que le
sida en est peut-être la cause."
"J'ai su par maman qu'il avait eu une liaison avec
un danseur"
Derrière ce "peut-être" se devine tout un cheminement qui a
pris des années. Et transparaît, aussi, le poids des non-dits dans le drame
d'une famille. "On ne parlait pas de choses sentimentales. Thierry me racontait
des choses très drôles sur les gens qu'il fréquentait. Entre nous c'était léger,
agréable", raconte-t-elle dans les colonnes de Paris-Match. "J'ai su par maman
qu'il avait eu une liaison avec un danseur argentin, Jorge Lago. Moi, je le
voyais souvent avec des femmes et je sais qu'il en a aimé deux. Alors peut-être
était-il homosexuel, peut-être bi. Thierry n'a jamais communiqué sur sa vie
privée, je ne vais pas le faire vingt-six ans après sa mort."
Thierry Le Luron avait pourtant essayé de se confier à sa
soeur, huit mois avant sa mort. Une scène dont elle se souvient encore
aujourd'hui, avec regret. "On rentrait de Bretagne, en voiture (...) A un
moment, il m'a parlé pour la première fois de Jorge, de sa disparition : 'Il est
mort du sida, j'ai vu sa famille, j'ai pleuré.' Il a aussi fait une allusion à
cette maladie en parlant pour lui-même d'infection, non pas de virus". Mais les
confidences ne sont jamais allées plus loin. "Il m'a proposé de l'accompagner à
un spectacle, et d'aller dîner ensuite. J'ai botté en touche, en invoquant la
fatigue du voyage. Peut-être ai-je eu peur, peut-être voulait-il m'en dire plus,
peut-être ne voulais-je pas savoir. Je l'ai beaucoup regretté. C'est presque une
réaction infantile de ma part. Si on ne dit pas les choses, elles n'existent
pas."
"Tu écriras ma biographie"
Un non-dit que la mort de l'humoriste devait durablement figer
après novembre 1986, toute la famille unissant ses forces pour soutenir la mère
de Thierry Le Luron : "Thierry lui appartenait, en quelque sorte, raconte
Martine Simon-Le Luron à Paris-Match. A sa mort, ma mère a beaucoup souffert.
Elle était comme dans le coma, elle a fait des séjours en maison de santé et
suivi des cures de sommeil. Dans la famille, c'est sa douleur qui a primé". Il
aura fallu à Martine Simon-Le Luron le travail du temps, l'arrivée de la
retraite, et la mort de sa mère, pour se confronter enfin par l'écriture à ce
passé douloureux.
Dans cette biographie, elle raconte le dernier combat de son
frère : "La chimio de Thierry ne marchait pas, elle était trop 'légère'. Mais
Thierry ne voulait pas en subir une plus forte afin de continuer à vivre
normalement, à travailler. Surtout, il redoutait de perdre ses cheveux. A la
fin, il ne pouvait plus rien avaler de solide". Elle évoque aussi les derniers
moments passés avec un Thierry Le Luron à bout de forces, brûlant ce qui lui
restait d'énergie pour masquer aux yeux de ses proches la progression du mal qui
le rongeait : "Il était impossible de deviner qu'il était très atteint. J'ai su
après qu'il avait fait des efforts surhumains devant nous". Et ce mot
prémonitoire de son frère, six mois avant sa disparition, qui lui avait lancé en
plaisantant : "Tu écriras ma biographie". C'est ce qu'elle a fait, finalement,
au bout de 27 ans, et après la disparition de cette mère dévastée pour le reste
de sa vie par la mort de son fils. En forme d'ultime hommage, et d'ultime
catharsis