Le procès des
prothèses mammaires frauduleuses PIP est hors norme. Premier volet judiciaire
d'un scandale sanitaire à retentissement planétaire, l'audience doit s'ouvrir ce
mercredi à Marseille. Cinq
personnes, dont le président fondateur de Poly Implant Prothèse (PIP)
Jean-Claude Mas, comparaîtront pour tromperie aggravée et escroquerie. Ils sont
soupçonnés d'avoir confectionné de 2001 à 2011 des implants mammaires avec du
gel non conforme à la réglementation et encourent une peine de cinq ans de
prison.
Ce procès s'annonce exceptionnel par son ampleur : 110.000
cotes, 5.100 plaignantes, dont environ 4.900 Françaises, 300 avocats et le même
nombre de journalistes. Le centre des congrès de Marseille, le Parc Chanot, a
été réquisitionné pour devenir une annexe du tribunal correctionnel. Dedans, un
espace de 4.800 mètres carré qui peut accueillir 700 personnes a été aménagé.
Trois salles annexes équipées de vidéo-transmission seront installées, d'une
capacité de 830 places. La note est salée pour l'Etat : la facture location,
aménagement, sécurité, s'élève déjà à 800.000 euros. "La nature particulière de
ce procès est le nombre important de victimes, a souligné le vice-procureur
Jérôme Bourrier, secrétaire général du parquet. Ce procès justifiait la mise en
place d'un dispositif adapté".
"Ce procès, les victimes l'attendent depuis trois ans.
Elles ont envie de se retrouver face aux responsables de leurs malheurs pour
dire, avec leurs propres mots, leur douleur morale et physique", affirme
Philippe Courtois, l'avocat de 2.800 porteuses de prothèses PIP.
Vers un fiasco judiciaire ?
Mais sa tenue est pourtant menacée avant même son ouverture.
Plusieurs avocats demandent son renvoi. Une requête en suspicion légitime
réclamant le dépaysement du procès a été introduite par une prévenue devant la
chambre criminelle de la cour de cassation, qui doit faire connaître sa décision
quelques heures avant l'ouverture des débats. L'avocat de Jean-Claude Mas,
compte lui jouer un vice de procédure : le fait que la citation à comparaître du
fondateur de PIP ne soit pas datée. "J'entends soulever un certain nombre de
nullités. Je vais demander le renvoi de l'affaire à une date
ultérieure", explique Me Yves Haddad.
La demande de renvoi
émane aussi d'une association de victimes, au risque d'enliser la procédure
durant d'interminables années. Le Mouvement de défense des femmes
porteuses d'implants et de prothèses estime notamment que tous les responsables
ne sont pas sur le banc des accusés. "Ce n'est pas tant le report du procès qui
est en jeu que la probité de celui-ci", explique sa présidente Muriel Ajello.
Elle regrette l'absence chez les prévenus de la société PIP - seuls les anciens
dirigeants étant visés - et la présence au côté des victimes de TUV, organisme
allemand chargé de certifier la société PIP. "C'est grâce à leur aval que nous
avons été implantées par des produits frauduleux", explique
l'association. L'avocat de la firme allemande, Olivier Gutkès,
réplique qu'on ne peut pas reprocher d'infraction pénale à TÜV, qui a selon lui
été trompé par des "escrocs".
Autres absences
contestées : celle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des
produits de santé (ANSM) et du
syndicat des chirurgiens esthétiques. "Ils nous ont vendu ces prothèses. Ils ont
engagé leur responsabilité dans le choix qu'ils ont fait de poser des prothèses
PIP. Ils ont engagé leur responsabilité en préférant déclarer les incidents
directement à la société PIP plutôt qu'en le faisant à l'ANSM alors que c'est
une obligation légale", indique l'association.
Mais la possibilité d'un report enflamme déjà les esprits
d'autres plaignantes. "Ce procès doit avoir lieu, les victimes attendent
depuis plus de trois ans d'être enfin reconnues en tant que telles", dit
Alexandra Blachère, présidente de l'association de défense des porteuses de
prothèses PIP, qui revendique 2.300 adhérentes.
Absence d'analyses, d'essais et de tests de
résistance
Dans les procès-verbaux de convocation adressés aux prévenus,
que Reuters a pu consulter, il leur est reproché une "tromperie sur les
qualités, la composition, les risques inhérents et les contrôles" des implants
mammaires pré-remplis de gel de silicone commercialisés par PIP. Jean-Claude Mas
a admis avoir utilisé un "gel maison" non conforme pour ses prothèses mais
affirme que celles-ci ne sont pas plus dangereuses que celles de la concurrence.
Les documents font encore allusion à l'absence d'analyses et d'essais, notamment
de tests mécaniques, d'analyses physico-chimiques ou encore de tests de
résistance des produits PIP.
Lors de l'enquête préliminaire close en octobre 2011,
les enquêteurs ont auditionné les principaux cadres de l'entreprise, plus d'une
vingtaine de salariés et une demi-douzaine de chirurgiens qui implantaient les
prothèses PIP. Dans leurs conclusions, ils précisent que "quasiment tous les
employés savaient que la société remplissait les prothèses d'un gel non
conforme". Ils décrivent ainsi les rouages d'une "véritable organisation au sein
de l'entreprise" qui a permis de "garder le secret pendant dix ans" pour une
économie estimée à plus d'un million d'euros par an, évitant la faillite de PIP.
Les prévenus sont aussi poursuivis pour des faits
présumés d'escroquerie au préjudice de l'organisme certificateur allemand TÜV
Rheinland auquel les cadres de PIP auraient dissimulé des données de traçabilité
sur les achats de matières premières. "Tout ce qu'on peut demander pour
tromperie aggravée, c'est un préjudice moral et le coût de la réimplantation.
Cela représente une fourchette entre 1.000 et 3.000 euros par victime", explique
Philippe Courtois. L'indemnisation des victimes potentielles ne
devrait toutefois pas être au centre du procès mercredi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire