mercredi 25 janvier 2012

Génocide arménien : que peut faire la Turquie contre la France ?


  1. Certes, Recep Erdogan a une nouvelle fois vivement tempêté contre le vote de la loi pénalisant la négation des génocides au Sénat français. Mais, contrairement à ce qu'on pouvait penser, le Premier ministre turc n'a pas annoncé de riposte concrète, et notamment de mesures supplémentaires de rétorsion venant compléter celles prises fin décembre au moment du vote de l'Assemblée nationale. A l'époque, l'ambassadeur turc à Paris avait été rappelé pour consultations -il est depuis revenu comme c'est généralement le cas lors de la première phase de tensions diplomatiques entre deux pays- et les rencontres bilatérales sur les plans économique, culturel et militaire avaient été annulées.
  2. Pour savoir jusqu'où ira l'indignation de la Turquie, il faudra donc attendre que Nicolas Sarkozy promulgue la loi. En principe, le chef de l'Etat dispose de quinze jours pour le faire. L'Elysée a confirmé qu'il le ferait. Si c'est bien le cas, la première mesure prise concernera en toute logique les relations diplomatiques avec le départ de l'ambassadeur. Sans aller jusqu'à une fermeture de l'ambassade (quasiment réservée aux pays en guerre), il est en effet fort probable qu'Ankara réduise son niveau de représentation au strict minimum prévu par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Les ambassadeurs rentreraient dans leurs pays respectifs, et seraient alors remplacés un simple "chargé d'affaires".
  3. Au-delà de la révocation d'accords bilatéraux militaires ou culturels, la principale menace reste bien sûr le spectre de rétorsions économiques contre les entreprises françaises implantées en Turquie -plus de 400 selon les derniers chiffres, sans compter celles associées à des compagnies turques. Même si c'est officiellement interdit par les règles de l'Organisation mondiale du commerce, elles pourraient notamment être écartées d'une manière ou d'une autre des appels d'offres des marchés publics turcs. Certaines ont déjà vécu un tel problème en 2001 lors du vote de la loi reconnaissant le génocide arménien puis en 2006 lors d'une première tentative de pénaliser sa négation.

    Autre problème éventuel : un boycott. Là aussi, selon les règles de l'OMC, il est illégal pour un gouvernement d'appeler officiellement au boycott des produits d'un autre pays. Mais le Turc lambda, excédé comme ses dirigeants par la loi française, pourrait le faire de lui-même. En 2001 et 2006, le mouvement de boycott s'était révélé en fait assez limité. Cette année, la société civile semble en revanche beaucoup plus vindicative. Dans l'autre sens, des entreprises turques pourraient arrêter d'investir dans l'Hexagone.
    La Turquie aussi pénalisée ?
    A qui cette escalade profiterait-elle ? A personne probablement. la France est le 5e partenaire commercial de la Turquie (la Turquie étant le 11e partenaire de la France). Au total, les échanges entre les deux pays ont atteint 11,7 milliards d'euros l'an passé. Pénaliser des entreprises françaises installées en Turquie, en les boycottant ou en les privant de marchés, publics ou privés, aurait obligatoirement des conséquences sur leurs 70.000 salariés turcs. Un boycott des produits français gênerait aussi les nombreux commerçants les vendant. N'oublions pas non plus que la Turquie est l'une des destinations préférées des touristes français, qui se sont reportés en masse sur le pays après les révolutions en Tunisie et e Egypte.

    Enfin, autre conséquence, plus embêtante pour Ankara que pour Paris : une crise ouverte serait problématique alors que la Turquie négocie son adhésion à l'Union européenne, à laquelle Nicolas Sarkozy est déjà fermement opposé. Elle arriverait aussi au mauvais moment alors que les deux pays, membres de l'Otan, sont en pointe dans le dossier syrien. "Plus forte qu'en 2001
     
  1. "La Turquie de 2011 n'est plus celle de 2001", disait le gouvernement turc fin décembre, pour signifier qu'il se sent bien plus fort aujourd'hui . Et qu'il est donc capable de soutenir un bras-de-fer plus longtemps qu'il y a dix ans, aussi bien économiquement que diplomatiquement.
  2. Recep Erdogan a donc deux semaines pour se préparer ou alors, comme le lui propose Nicolas Sarkozy dans une lettre, "prendre la mesure des intérêts communs" entre les deux pays.

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