jeudi 4 août 2011

Aurore Drossart : Jamais sans sa mère

On imaginait un tête-à-tête. Aurore Drossart est venue avec sa mère. C’est d’ailleurs celle-ci qui entre d’emblée dans le vif du sujet, armée d’un récapitulatif de leur épopée judiciaire de dix ans, ayant abouti à cette conclusion : Yves Montand n’est pas le père de sa fille. A ses côtés, Aurore, silhouette frêle et tonique, dévoile une épaule tatouée : une panthère, « guerrier solitaire et sauvage », et un Phénix, cet oiseau mythologique « qui renaît toujours de ses cendres ». C’est ainsi qu’aime se voir Aurore, 35 ans, dont « 29 en dépression ». Elle vivote de petits boulots. Des mois à 300 €, d’autres à 900 €, « toujours en dessous du SMIC ». Son « compagnon pendant treize ans » est décédé il y a trois ans. Aujourd’hui, elle habite « avec quelqu’un, chez quelqu'un », à Paris, et n’en dit pas plus. Elle ne possède rien. « J’ai commencé ma vie à 23 ans, avec une épée de Damoclès. La famille de Montand me réclamait les dépens du procès, 33.500 €, alors qu’ils ont volé ma vie, mon identité, ma part d’héritage. J’ai fait une croix sur ma vie professionnelle pour éviter qu’on saisisse mon salaire ou mon appartement. » Naguère cible des médias, elle accepte de s’exposer de nouveau, brûlant de clamer « sa » vérité. « Des choses inacceptables. A commencer par cette décision d’injustice. »

Analyses génétiques

Nous y voilà. Juin 1998 : la cour d’appel de Paris conclut à la « non-paternité » d’Yves Montand, mort en 1991. A l’époque, la décision d’exhumer le cadavre de l’acteur pour effectuer une analyse ADN soulève une foule de protestations. Politiques, religieux, médias… Tout le monde s’en mêle. La mère se souvient d’une « benne à ordures d’injures déversée. Nous n’avons jamais exigé de déterrer Montand. La justice l’a ordonné. Sa famille pouvait s’y opposer, elle ne l’a pas fait. » Treize ans après, mère et fille n’en démordent pas : quoi qu’en dise l’ADN, Montand serait bien le père. Comment ? « La génétique est fiable à 99,99 %, certes, mais les hommes qui sont derrière ? », assène Aurore. Elles ne remettent pas en cause les analyses des généticiens, mais les prélèvements sur lesquelles elles se basent. « Un corps qui n’a pas été identifié, sans dossier médical. Des échantillons prélevés par un légiste sans bonnet, ni masque, qui a pu les contaminer… », énumère Aurore, présente ce jour-là à l’Institut médico-légal de Paris.
Comment pourrait-elle ne pas être dans le déni ? Elle pense être la fille de Montand « depuis toujours ». C’est sa mère qui le lui a dit, un jour où elle rentrait de l’école maternelle, un dessin de fête des pères sous le bras. Complices, fusionnelles, conflictuelles, mère et fille n’ont jamais coupé le cordon. Anne coupe la parole à Aurore, ponctue ses phrases d’un « bravo », d’un « voilà, c’est ça qu’il faut dire ». On ne sait laquelle protège l’autre. « Personne n’a vécu cela à notre place, tranche Aurore. Elle est ma seule famille. J’ai été élevée dans le culte, enfin, dans l’amour de ma mère, se reprend-elle. Certainement pas dans le culte de Montand ! » Aurore dit détenir « deux preuves » de sa filiation. La première, une rencontre avec Signoret, dans un café. « Ce fut la seule du clan à avoir été bienveillante avec moi. » Sa mère lui racontera la teneur de leur conversation. « Si j’avais dû adopter tous les enfants de Montand, on serait une famille nombreuse ! » aurait glissé Simone. La seconde, une rencontre avec lui. Aurore a 6 ans. Ce jour-là, alors qu’Anne lui téléphone une énième fois, il aurait demandé à parler à « sa fille », puis à la voir. Place Dauphine, Aurore l’aperçoit « dans la cour, qui parle avec deux ou trois types. Soudain, il se tait, me regarde droit dans les yeux. Ses compagnons lui demandent ce qui se passe. Il reprend ses esprits et dit : « Ce n’est rien. Une fan, une de plus ! Ce rien m’a valu de penser à mourir pour la première fois. »

Quête spirituelle

Longtemps, Aurore a cru être « une horreur, une erreur ». Elle vivra comme un ultime affront cette couverture de Paris-Match : « Montand, papa pour la première fois ! » publiée à la naissance de Valentin, son fils avec Carole Amiel. Aurore, 14 ans, dit avoir supplié sa mère de « faire quelque chose ». Début du marathon judiciaire. Anne apparaît comme la manipulatrice, ayant fait germer dans la tête de sa fille ce rêve d’un destin hors du commun. « Je n’ai jamais cherché les sous ou le scandale », se défend celle-ci. « Notre histoire a duré deux ans. J’avais 22 ans, un début de carrière d’actrice, j’étais belle. Aurore a été conçue à l’hôtel Concorde Lafayette, où il préparait Le Sauvage. Il m’a jetée le jour où je lui ai appris que j’étais enceinte. » Le tribunal de Paris lui donne raison le 6 septembre 1994 : Aurore est reconnue fille d’Yves Montand. « Le jour le plus heureux de ma vie. Enfin, j’ai une identité ! » raconte l’intéressée. Bonheur fugace : Carole Amiel, dernière compagne, et Catherine Allégret, fille adoptive du comédien, relancent la procédure. Quatre ans plus tard, l’affaire sera close.
Aujourd’hui, mère et fille accusent en chœur cette justice « manipulée », cette « fraternité » liant « les puissants », qui seraient responsables de ce revirement. « Ils ont fait de moi une révolutionnaire. Je suis une fille du peuple, mais je ne suis pas leurrée par les mensonges des industriels, de la justice et des politiques », s’emballe Aurore. Son monde est peuplé de références à l’ésotérisme et à la spiritualité : bouddhisme, croyances celtes, philosophie grecque… Soit dix ans de quête de sens, comme un remède à l’inassouvie quête de père. Elle vit au jour le jour, dessine, se rend à des fêtes médiévales. Elle se sent investie d’une mission : « Je me bats pour la liberté, les droits de l’homme, l’environnement. J’éveille les consciences sur mon blog et ma page Facebook. Vous voyez, je suis une fille de mon temps ! » Question d’orthographe.
Repères
6 octobre 1975 Naissance d’Aurore Drossart.
1989 Anne Drossart, sa mère, engage une action contre Yves Montand.
Avril 1990 Le tribunal de Paris demande une analyse sanguine, l’acteur refuse.
9 novembre 1991 Décès d’Yves Montand à l’âge de 70 ans.
6 septembre 1994 Le tribunal reconnaît officiellement que Montand est bien le père d’Aurore. Quelques semaines plus tard, Catherine Allégret, fille adoptive de l’acteur, et Carole Amiel, sa dernière épouse, font appel.
11 mars 1998 Exhumation du corps d’Yves Montand au cimetière du Père Lachaise pour analyse génétique.
12 juin 1998 Les experts concluent qu’il n’est pas le père d’Aurore.
1999 Pourvoi en Cassation.
2001 Rejet du pourvoi en Cassation

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